Aux origines de la vigne !
Jusqu'à ce mois de mars 2023, il était admis que la vigne cultivée (Vitis vinifera) avait été domestiquée à partir de populations de vigne sauvage (Vitis vinifera subsp. sylvestris) il y a près de 8 000 ans. Soit en même temps que les oliviers, les figuiers et les palmiers dattiers, qui composent avec la vigne le "big four" des fruits domestiqués.
Une étude génomique d'une ampleur inédite, publiée début mars 2023 dans Science, et à laquelle plusieurs scientifiques de l'UMR EGFV (Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne) ont été associés, vient bouleverser ce que nous pensions savoir sur les origines de la vigne cultivée.
11 500 ans de sélection et de croisements
Les résultats de cette étude font reculer la date de la domestication de la vigne à 11 500 ans, soit aux tout débuts de l'apparition de l'agriculture, de manière concomitante à la domestication des premières céréales !
De plus, les chercheurs montrent que cette domestication est apparue simultanément et de manière indépendante en deux foyers différents : celui du Caucase et celui du Moyen-Orient, tous deux séparés par plus de 1 000km et une chaîne de montagne infranchissable.
C'est à partir de ces deux foyers que la vigne cultivée s'est diffusée à travers l'Europe et l'Asie, suivant les routes migratoires des premiers agriculteurs. En Europe occidentale, ces premiers "cépages" ont subi plusieurs introgressions, plusieurs croisements avec les vignes sauvages présentes depuis des milliers d'années sur le territoire. Ces croisements, ont amplifié la diversification des cépages, ont certainement favorisé l'acclimatation de la vigne à des sols, des climats et des pathogènes nouveaux.
De cuve ou de table ?
Non contents de reculer de près de 3 500 ans la date de la domestication de la vigne, les 89 auteurs de l'étude viennent contredire la croyance selon laquelle la sélection du raisin de consommation (raisin de table) aurait été postérieure à celle du raisin de cuve (utilisé pour produire du vin). Leurs résultats montrent que les cépages de cuves et les variétés de tables ont été sélectionnés de manière parallèle, et que la grande majorité de nos cépages de cuve actuels ne sont pas originaires du Caucase comme on le croyait jusqu'alors mais bel et bien du Moyen-Orient !
16 pays différents, 23 instituts,
plus de 3 500 génotypes séquencés.
Pour Pierre-François Bert, Maître de Conférences à l'université de Bordeaux, chercheur à l'INRAE au sein de l'UMR EGFV et co-auteur de cette étude, le travail de séquençage effectué pour parvenir à ces résultats est d'une ampleur inédite. Une collaboration de 16 pays différents, 23 instituts, plus de 3 500 génotypes séquencés. Du jamais vu en ce qui concerne la vigne !
Une aventure débutée il y a 3 ans, à l'initiative de chercheurs chinois de l'université agricole du Yunnan. Leur idée : profiter de leur batterie de séquenceurs ADN pour séquencer l'ensemble de la diversité génétique de la vigne et de ses espèces sauvages apparentées.
Sur plus de 3 500 échantillons analysés, environs un millier ont été mis à disposition par l'INRAE, dont près de 800 génotypes issus des collections bordelaises !
En plus d'avoir contribué à hauteur d'1/3 dans la mise à disposition des échantillons, 4 chercheurs et chercheuses de l'UMR EGFV (INRAE, université de Bordeaux, Bordeaux Sciences Agro) ont participé à l'analyse des résultats ainsi qu'à la rédaction de la publication : Nathalie Ollat, Pierre-François Bert, Nabil Girollet et Serge Delrot.
Publication originale :
- Yang Dong et al., Dual domestications and origin of traits in grapevine evolution. Science 379,892-901 (2023). DOI: 10.1126/science.add8655
Pour aller plus loin :
- Il y a 11 000 ans, la domestication de la vigne a été “l’une des forces motrices de la civilisation”, Courrier International, 03 mars 2023.
- Des chercheurs retracent la saga de la domestication de la vigne, Le Monde, 02 mars 2023.