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"Bruges 2067, très bonne année !" - Changement climatique et viticulture, une publication dans Nature reviews

Plusieurs scientifiques, dont des chercheur.se.s des unités bordelaises EGFV et EPOC, viennent de co-signer une publication d'ampleur dans "Nature Reviews Earth and Environment" au sujet de l'adaptation de la viticulture face aux changements climatiques à venir. Petit tremblement de terr(oir)e pour les régions viticoles dont les conditions risquent de ne plus être favorables à la culture de la vigne d'ici à la fin du siècle.

Publiée le

« Bruges 2067, une très bonne année. Ce n’est pas du Plymouth, mais vous m’en direz des nouvelles ! »

Utopie pour certains, dystopie pour d’autres. Toujours est-il que la récente étude étude parue dans Nature Reviews Earth and Environment et intitulée Climate change impacts and adaptations of wine production, donne du crédit aux scénarii qui projettent une migration des régions viticoles vers le nord de l’Europe de l’ouest.

Fruit d’une collaboration entre des chercheuses et des chercheurs des unités bordelaises EGFV (Inrae, Bordeaux Sciences Agro, université de Bordeaux) et EPOC (CNRS, université de Bordeaux) ainsi que du laboratoire de Biogéosciences de l’université de Bourgogne, Cornelis van Leeuwen, Giovanni Sgubin, Benjamin Bois, Nathalie Ollat, Didier Swingedouw, Sébastien Zito et Gregory  Gambetta proposent au travers de cette étude une analyse approfondie de la littérature scientifique dédiée à la projection des pratiques viticoles à 100 ans, dans un contexte de changement climatique. Plus de 250 publications ont été épluchées.

Les régions viticoles méditerranéennes vulnérables

D’après leurs résultats, si le réchauffement global dépasse +2 °C, près de 90 % des régions viticoles côtières et de basse altitude du sud de l’Europe et de la Californie risquent de perdre leur aptitude à produire du vin de qualité et à des rendements économiquement soutenables, d’ici la fin du siècle.

L’Espagne, l’Italie et la Grèce sont ainsi évoquées comme des régions particulièrement vulnérables face aux changements climatiques à venir. En effet, seule une faible part des zones viticoles actuelles de ces pays (moins de 20%) devraient pouvoir trouver l’altitude comme échappatoire. Pour le reste c’est une migration vers les hautes latitudes à laquelle on pourrait s’attendre. Du Chianti ? Vous ne préfèreriez pas un petit verre de Plymouth ?

D’autres régions pourraient ressortir gagnantes de ces modifications climatiques, du moins du point de vue viticole. Parmi elles, le nord de la France ou la Colombie-Britannique (Canada). De nouvelles régions de production pourraient également se développer, la Belgique ou le royaume de Danemark font ainsi de sérieux candidats pour la fin du siècle.

L'ensemble des continents passés au crible

Dans leur étude les scientifiques ne se cantonnent pas à la situation de la vieille Europe. L’ensemble des continents du globe ont été passés au crible (excepté l’Antarctique). Les auteurs évoquent certaines régions de l’Australie pour lesquelles le maintien de la viticulture semble difficile selon les projections actuelles. A contrario, le sud de l’Océanie pourrait voir de nouveaux terroirs se développer. Du côté du continent africain évoquons les vignobles du Maghreb qui auront certainement à aller chercher des conditions plus favorables en altitude, sur les pentes de l’Atlas par exemple, ou encore la possibilité de voir les hauts plateaux du Kenya ou de l’Ethiopie émerger comme de nouvelles terres viticoles.

Vigne et chgment clim carto.jpg

Fig.1 Global changes in winegrowing suitability at temperature increases of 2 °C and 4 °C.
Van Leeuwen, C., Sgubin, G., Bois, B. et al. Climate change impacts and adaptations of wine productionNat Rev Earth Environ (2024).

Des impacts transversaux, De la vigne au bouchon

Les modifications climatiques, en plus d’affecter la viabilité de certaines régions viticoles, auront un impact sur la palette aromatique des vins, leur taux d’alcool, mais aussi sur le développement des maladies et pathogènes de la vigne. Des climats plus humides favoriseront le développement de champignons, tandis que des climats plus secs auront tendance à favoriser la production d’anthocyanes… à condition que ces sécheresses ne soient pas trop sévères. La disponibilité en eau faisant elle aussi partie des nombreux paramètres pris en compte pour arriver à ces résultats.

Positives and negatives impact of climate change on viticulture.jpg

Fig.5 Drought-tolerance adaptation mechanisms in vines.
Van Leeuwen, C., Sgubin, G., Bois, B. et al. Climate change impacts and adaptations of wine productionNat Rev Earth Environ (2024).

La recherche scientifique pour mieux anticiper et adapter les pratiques

Pour conclure, les auteurs soulignent l’importances des défis qui attendent la viticulture dans les années à venir, entre pertes et gains selon les régions concernées, compromis à trouver entre adaptation et migration.

L’ampleur exacte de ces changements reste mal connue. Celle-ci dépendra de l’ampleur du changement climatique et des interactions et des impacts liés à la variabilité naturelle, ainsi que de notre capacité d’adaptation et d’atténuation. Bien que la recherche travaille actuellement à améliorer les prévisions climatiques pour les échelles de temps proches (e.g. décennie) il reste difficile d’anticiper précisément des événements météorologiques extrêmes ou encore l’évolution de la pression des ravageurs et des maladies. La question du plus long terme étant fortement dépendante de nos réactions et de nos émissions à venir, est encore plus délicate à anticiper.

Certaines régions bénéficieront de ces modifications du climat sur le long terme, et nous verrons vraisemblablement émerger de nouvelles régions viticoles. Des modifications qui ne seront pas sans conséquences : l’expansion de la viticulture dans de nouveaux territoires pourrait avoir des impacts sur la consommation des ressources naturelles et sur les habitats naturels.

Les scientifiques appuient sur un point en particulier : ces défis devront être relevés et appuyés par de solides stratégies d’adaptation fondées sur la science et les données de prévisions climatiques décennales. Certaines solutions sont déjà connues et incarnent des principes agronomiques simples et solides. Par exemple, les dégâts causés par la vague de chaleur peuvent être atténués en modifiant la canopée pour augmenter l'ombrage des fruits. La consommation d'eau des vignobles peut être réduite en réduisant la densité de plantation et/ou en réduisant la surface foliaire de la canopée. La diversité variétale de la vigne est par ailleurs citée par les auteurs comme étant un des leviers d’adaptation au changement climatique des plus prometteurs, « probablement le plus sous-exploité ».

Et les auteurs de conclure : « Une chose est sûre : le changement climatique entraînera des changements majeurs dans la production mondiale de vin dans un avenir proche. Avoir la flexibilité nécessaire pour s’adapter à ces changements sera essentiel. »

Climate change impacts and adaptations of wine production

Van Leeuwen, C., Sgubin, G., Bois, B. et al. Climate change impacts and adaptations of wine productionNat Rev Earth Environ (2024).

https://doi.org/10.1038/s43017-024-00521-5

Lire l'article sur le site de Nature reviews

Revue de presse :

Contacts

  • CORNELIS VAN LEEUWEN

    UMR EGFV

    Enseignant chercheur à Bordeaux Sciences Agro

    cornelis.van-leeuwen%40u-bordeaux.fr

  • GIOVANNI SGUBIN

    UMR EPOC

    Chercheur à l’université de Palerme

    giovanni.sgubin%40unipa.it

  • NATHALIE OLLAT

    UMR EGFV

    Directrice de recherche INRAE

    nathalie.ollat%40inrae.fr

  • DIDIER SWINGEDOUW

    UMR EPOC

    Chercheur CNRS/université de Bordeaux

    didier.swingedouw%40u-bordeaux.fr

Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État au titre du Programme France 2030 à l'Université de Bordeaux au travers du RRI Tackling Global Change.